Le scrutin grec n’a de sens que pour autant qu’il favorise l’émergence d’une coalition stable en faveur de la modernisation du pays.
Le 20 septembre, la Grèce a voté pour la troisième fois en neuf mois. Contrairement au scrutin législatif du 25 janvier qui vit la première victoire de Syriza et au référendum du 5 juillet qui rejeta l’accord avec les créanciers, la campagne s’est déroulée dans le calme et dans une quasi-indifférence. Sous la lassitude des électeurs grecs et des enjeux en apparence limités pointent des interrogations majeures sur l’avenir de la Grèce, de l’euro et de l’Europe.
Les turbulences de la Grèce s’inscrivent au croisement de la crise économique et de la faillite de la classe politique qui a culminé avec la démagogie de Syriza. D’un côté, la Grèce fait face à un choc déflationniste d’une violence inconnue depuis les années 1930 pour un pays développé, avec une chute de 28 % du PIB et un taux de chômage proche de 30 % de la population active. De l’autre, le système politique est paralysé.
Alexis Tsipras a raison de rappeler que la faillite grecque résulte de quatre décennies d’impéritie, de clientélisme et de corruption des partis traditionnels. Son principal adversaire, Evangelos Meïmarakis, leader de la Nouvelle Démocratie, affirme à juste titre que Syriza, avant de se présenter en sauveur de la Grèce au sein de l’euro, a, en moins de cinq mois, mis l’économie en situation de mort clinique, ruiné l’État et les banques, converti au Grexit nombre des partenaires de la zone euro.
Le scrutin s’est de fait déroulé à l’ombre de la valse à trois temps conduite par Tsipras depuis son accession au pouvoir : confrontation vaine avec l’Europe et l’Allemagne dont le point d’orgue fut le défaut auprès du FMI ; capitulation le 13 juillet avec le principe du troisième plan de sauvetage portant sur 86 milliards d’euros ; coopération actée par le mémorandum du 19 août et suivie de la démission du gouvernement le 20 août. Dès lors que le maintien de la Grèce dans l’euro et le plan d’aide font désormais l’objet d’un très large consensus – à l’exclusion des néonazis d’Aube Dorée et des dissidents de Syriza regroupés dans l’Unité populaire – , les législatives se réduisent à un référendum sur la légitimité de Tsipras, passé de l’idéologie au pragmatisme, pour appliquer le plan qu’il a signé et dénoncé dans un même mouvement. L’impact des élections qui se déroulent en Grèce paraît marginal pour la zone euro et pour l’Europe.
La reprise se consolide grâce à la chute du prix du pétrole, à la baisse de l’euro et au redémarrage du crédit, avec une croissance qui tend vers 2 % et un reflux du chômage. La Grèce ne représente plus un risque systémique pour la monnaie unique. La crise des migrants accapare l’Union. L’accalmie qui a succédé à l’emballement des passions est cependant trompeuse. La crise grecque n’est en rien réglée. La désintégration du système bancaire et le contrôle des changes aggravent la récession et poussent à l’exil les talents et les entreprises, dont plus de 11 500 se sont délocalisées en Bulgarie en quelques mois. Les 25 milliards d’euros destinés à recapitaliser les banques ne suffisent pas à assurer leur survie, alors qu’elles ont perdu plus de 50 milliards de dépôts depuis janvier 2015. La dette publique qui atteindra 200 % du PIB en 2016 est plus que jamais insoutenable. Il n’existe pas de majorité stable pour soutenir les réformes qui sont la contrepartie de l’aide européenne. Les Grecs, s’ils plébiscitent leur maintien dans la zone euro, restent plus qu’ambigus sur la fin du clientélisme, du corporatisme, du protectionnisme et de la fraude fiscale généralisée qui interdisent la construction d’un État moderne et d’une économie compétitive. À tout cela s’ajoutent le choc provoqué par l’arrivée de 230 000 migrants, même s’ils cherchent par tous les moyens à limiter leur séjour en Grèce pour gagner l’ouest du continent, ainsi que le tarissement des investissements chinois après le krach de Shanghai.
En dépit de ses échecs, Syriza entretient et exporte dans tout le continent un populisme hostile aux réformes, qui trouve des relais en Espagne avec Podemos, au Royaume-Uni avec la dérive gauchiste du Labour de Jeremy Corbyn, en France avec le Front national. La décomposition de l’État grec crée une zone de chaos au sud-est du continent, ouvrant à proximité du Moyen-Orient un vaste espace pour les activités des groupes criminels et terroristes comme pour des mouvements migratoires incontrôlés. Le scrutin grec n’a de sens que pour autant qu’il favorise l’émergence d’une coalition stable en faveur de la modernisation du pays. Voilà pourquoi l’aide à la Grèce doit être renforcée pour ce qui touche au contrôle de ses frontières et à l’accueil des réfugiés.
(Chronique parue dans Le Figaro du 21 septembre 2015)